Spoke orkestra meets les charcutiers
Soirée battle de mc's en ouverture d'un concert dans ma bonne ville de Poitiers l'an dernier.Des rappers s'affrontent en petits duels thématiques. Par ses mots, son éloquence chacun doit prendre le meilleur sur l'autre avec un minimum de règles: durée fixée,respect de l'autre, pas d'insultes. A l'issue de chaque duel le vainqueur poursuit le tournoi jusqu'à la finale.
L'on peut bien sur regretter qu'aucune dame ne donne un morceau de tissu horné de ses couleurs, les traditions se perdent...
Les rappeurs ce soir
sont des charcutiers, du gras, du gras, pas de duels d'esprits, juste
du concours de gros zizis. A deux ou trois brillantes exceptions
prés ça donne du "je vais te baiser", "t'as rien dans le pantalon",
"j'encule les faux" ( par pitié princesses de donnez pas vos fesses à
ces hétéros pur porc il les maltraiteraient). Beaucoup de mention de ce
qu'ils ont de puissant dans leur pantalon, de ce qui fait d'eux des hommes,
des vrais, "pas des pédés". "Pédé" a dû résonner autant de fois que
"bougnoule" à une buvette de meeting d'extréme droite.
La majorité de ces rappeurs là sont des charcutiers, ils vivent grassement bercés par des
pensées putrides, leurs rêves pataugent dans la médiocrité comme les
pieds du boucher dans le sang. Ils sont insolents et narquois dans la médiocrité
avec l'excuse de leurs vingt ans. "Je suis pas un pédé" répété en
boucle , boucle d'or en pleurerait la pauvre et pure.
L'on finit
sur du meilleur, les quatre demi finalistes ont plus de talent, le
sourire prend la place laissée vide par la vulgarité.
Spoke
orkestra jouent ensuite, du slam, de la poésie sonore et accessible. Il
s'agit de textes déclamés par trois personnages aux univers
distincts. Leur
point commun est que les textes sont sombres, sombres et
jubilatoires, libérateurs sans doute, parfois tellement outranciers que
le rire naît.
Franco Manara est leur bidouilleur, arrangeur qui
les accompagne musicalement, musique, bruit ou dissonances à l'aide
d'harmonica, claviers, guitare , à chacun son univers.
Le concert, la performance ( comment on dit?) se fait dans une ambiance trés théatrale, chacun est vétu de noir, pas de décorations, quelques chaises seulement.
Les trois se succédent. Il y a D' de kABAL, rappeur canal historique aux textes politiques, réalistes évoquant banlieue, suicide, violences familiales, abandon des quartiers. Il scande, souvent lentement, modifie sa voix théatrale et surpuissante, tantôt grave, tantôt zozotante, créant un climat où les mots semblent raisonner dans un silence intense.
Il y a Felix, yeux exorbités, comme exalté, il énumère sur un rythme saccadé, axe ses textes sur la société de consommation, le rythme éffrèné du monde. Filiforme, les cheveux ras, il est sans doute le moins dur du trio, le plus souriant aussi. Il jouera un texte trés amusant sur le lancement par panini de vignettes consacrées aux meilleurs crimes puis de sonneries de portables avec vos vedettes préférées agonisant.
Il y a ensuite Nada, "l'ange noir"à la présence forte, son univers c'est les toxicos, les trans, la prostitution. C'est beau et sombre, des yeux qui roulent, une tension sur le visage, la voix tonne, il crie par moments, de la noirceur, le visagese crispe parfois et des sourires aussi. Les mots rebondissent, provoquent.
lls sont assis à l'arriére plan et se succédent, pas de répit, tout est sombre, jamais complaisant, une amie dans un concert m'avait dit que "c'était comme la pluie, ca nettoie", ils nettoient sans doute.
Nada ratera son
enchaînement sur le seul texte où ils étaient censés se succéder en
expliquant les yeux fixés sur une belle demoiselle "excusez moi j'avais
les yeux fixés sur cette belle demoiselle, je rêvais et...je me disais
qu'au lieu de me masturber trois fois par jour si elle pouvait me
prêter son cul...".
Belles les horreurs...
Fin de soirée,
le groupe à joué. Ils improvisent un clash à leur tour. Il y a là D' de
kabal , Nada "l'ange noir" et leur complice Yoahn, étrange
bonhomme à la tenue androgyne.
Ils prennent le micro et reprennent les mêmes thèmes, singeant consciemment ou pas certains déclameurs de tout à l'heure:
D'
prenant une voix d'enfant ridicule : "Je vous ais vus toi et Yo sur
internet faire des trucs avec vos sexes, vous êtes des zomosexuels".
Nada: "Oui je suis Mc Gay, demandes aux travs du bois de boulogne, moi et Yo elles nous connaissent par coeur".
Les charcutiers de tout à l'heure sont devant, tous alignés, est ce que dans leurs petites têtes ils couinent comme des cochons?
Si un livre, une image, un moment brillent c'est qu'il est tant de charcutiers autour, c'est que le vide pourrit le reste.